Le réseau Internet peut il permettre de contourner un accord de distribution sélective et rendre possible la revente hors réseau des produits ? (Sabrina Slimani avril 2005)

Publié le par Sabrina Slimani

Selon l’article 1 d) du Règlement d’exemption du  22 décembre 1999, la distribution sélective est définie comme  « un système de distribution dans lequel le fournisseur s’engage à vendre les biens ou les services contractuels, directement ou indirectement, uniquement à des distributeurs sélectionnés sur la base de critères définis, et dans lequel ces distributeurs s’engagent à ne pas vendre ces biens ou ces services à des distributeurs non agréés ».

 

On parle ainsi de distribution sélective pour désigner des concessions sans exclusivité où le producteur choisi les distributeurs « agréés » qui doivent remplir certaines conditions en rapport avec l’image de marque des produits, mais sans qu’il y ait nécessairement exclusivité de part ou d’autre. C’est par ailleurs le mode distribution privilégié pour les produits de haute technicité ou les produits de luxe. Il faut préciser que l’intérêt même de l’adoption du mode de distribution sélective réside dans la faculté même de choisir ses distributeurs.

Ce système de réseau de distribution, comme tout autre réseau de distribution, contrevient par nature au principe de liberté du commerce et de l’industrie et donc au jeu de la concurrence, il ne peut donc être autorisé que dans le cas où celui ci a un effet positif sur le marché.

 

 

Face au développement des nouveaux moyens de communication, la question de la vente sur Internet se pose également dans des domaines comme le droit de la distribution. En effet Internet offre des possibilités de marché énorme, ces possibilités s’étendent à une clientèle mondiale et par conséquent intéressent de nombreux acteurs des affaires, c’est pourquoi Internet peut être envisagé pour certains comme le moyen de contourner les réseaux de distribution. Or si on sait que dans un contexte classique, la revente hors réseau n’est pas en elle même sanctionnable (Les arrêts de principe du 27 octobre 1992 de la Cour de cassation ont précisé que le fait pour un tiers de vendre les produits d’un réseau de distribution sélective hors réseau ne constituait pas, en soi, un acte de concurrence déloyale ou de contrefaçon), qu’en est-il sur Internet ? L’enjeu est de taille car même si aujourd’hui, Internet est d’avantage une vitrine qu’un point de vente direct pour certains produits, à la vue de son développement toujours croissant et des efforts fait pour donner confiance en ce mode de vente à la clientèle, c’est l’intérêt et l’existence même de la distribution sélective qui est en question.

 

 

Comme nous l’avons vu, ce mode de distribution est choisi par le maître de réseau afin de répondre à des exigences particulières basées sur l’image de la marque ou la technicité du produit. Dans un arrêt de la Cour d’appel de Paris en date du 5 septembre 2003, la cour a pu ainsi décider que constitue un acte de concurrence déloyale le fait pour la société Rue du commerce de revendre des produits que la société Jamo réserve à son réseau de distribution. En effet dans cette décision, on adopte une solution classique appliquée au domaine d’Internet. C’est, dans un premier temps, l’idée que la revente hors réseau (que celle ci se passe dans un magasin ou sur un site Internet) n’est pas illicite en soi. Dans un second temps, pour que la revente hors réseau soit illicite, celle ci doit constituer un trouble manifestement illicite. Enfin pour condamner le revendeur, on se base sur le terrain de la concurrence déloyale et donc de la responsabilité civile délictuelle (article 1382 du Code civil)  :"le fait que la société Rue du commerce propose notamment sur son site Internet des ensembles audio home cinéma […] qui figurent au catalogue des produits que la société Jamo France réserve à son réseau de distribution sélective, cause à cette société et à ses affiliés un trouble manifestement illicite au sens de l'article 873 du nouveau code de procédure civile, en ce que la société Rue du Commerce ne répond pas aux exigences du réseau et porte donc atteinte à l'unité et à l'intégrité de celui-ci, tout en pratiquant des prix nettement plus bas et en se livrant ainsi à une concurrence déloyale". Il est à noter dans cet arrêt que les juges ont retenu, pour qualifier le trouble illicite, la seule revente au public par une société n’appartenant pas au réseau comme alors portant atteinte à l’unité et à l’intégrité du réseau. On aurait pu imaginer se baser sur la solution classique en la matière de la Cour d’appel de Versailles 2 décembre 1999 dans l’affaire Pierre Fabre refusant de considérer la commercialisation sur Internet en l’espèce, et relever l’impossibilité pour le distributeur de satisfaire à certaines exigences du réseau de distribution sélective (en l’espèce notamment l’impossibilité du distributeur de prodiguer des conseils personnalisés en matière pharmaceutique).

 

 

Ainsi la revente hors réseau sur Internet répond aux mêmes exigences que dans le mode classique de vente. Cette revente, pour être condamnée, doit révéler une certaine mauvaise foi, lorsque cette mauvaise foi est avérée on pourra alors se baser sur le terrain de la contrefaçon ou de la concurrence déloyale contre le revendeur (1382 du code civil et selon l’ordonnance du 1er décembre 1986 dans son article 36: « Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou artisan […].6°. De participer directement ou indirectement à la violation de l'interdiction de revente hors réseau faite au distributeur lié par un accord de distribution sélective et/ou exclusive exempté au titre des règles applicables du droit de la concurrence »), mais aussi sur le non respect des obligations contractuelles pour le distributeur agréé qui a revendu au tiers complice (article 1147 du code civil).

 

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